La genèse

La genèse d'Entre tes doigts

"Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N'écoute même pas, attends seulement. N'attends même pas, sois absolument silencieux et seul. Le monde viendra s'offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi."

Franz Kafka (Réflexions sur le péché, la souffrance, l'espérance et le vrai chemin)

Je suis un jour tombé nez à nez avec ce texte de Franz Kafka qui était posé, là, en épigraphe d'un roman de Georges Perec, Un homme qui dort. 

Ce livre, frappant de poésie et de mélancolie, décrit le basculement dans l'immobilité et le détachement d'un jeune homme saisi par la tentation de se soustraire à la marche du monde.

Certaines phrases de Kafka exercent sur moi une pure et immédiate fascination : le verbe, méthodiquement ordonné, méticuleusement affûté, qui semble tenir en son sein toute la sagesse du monde, fait toujours mouche dans mon esprit. 

Je sens que se loge ici, à portée de main, contenu dans ces quelques mots, un secret si précieux que, déjà, la crainte de le perdre pointe son nez. Car, je ne sais par quel sortilège, ces phrases qui un jour me livrent tout le sens de l'univers dans une lumière éblouissante, m'échappent tout à fait le lendemain, me laissant seul, jeté là, devant un mystère trop grand pour moi.

Alors l'acte d'écriture s'impose à moi ne serait-ce que pour tenter de retenir un instant l'énergie de ce verbe magique.

Entre tes doigts, à l'origine, c'est une pièce chantée en trois mouvements. Les paroles racontent l'histoire de cet homme qui se replie, de cet homme en crise : dans son immobilité volontaire commence une lente, progressive et implacable descente vers les couches les plus profondes de son esprit, là où il n'y a plus rien à voir, là où il n'y a plus rien à entendre. C'est à cet endroit précisément qu'il se met à voir, qu'il se met à entendre que le monde se tient là, comme une bille de lumière, entre ses doigts.

Et puis, le texte se révélant peu à peu superflu à mes yeux, j'ai choisi finalement, de cette écriture, de renoncer aux paroles.

 J'ai voulu qu'au verbe de Kafka la réponse soit la plus pure et la plus libre possible, vierge de sens, qu'elle soit faite de musique, de son, de rythme et de timbre.

Sébastien Cabrier